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Levée des sanctions contre l’Iran : l’épée de Damoclès de la « certification » US

Transport - Douane
24/01/2018
Une forte insécurité juridique pèse sur les entreprises qui voudraient profiter de l’opportunité du marché iranien, selon les conclusions auxquelles sont parvenus les divers intervenants à la conférence organisée le 20 décembre dernier à la Sorbonne par l'association du master 2 de droit international économique de Paris 2.
Chacun s'accorde à souligner la Renaissance actuelle de l’Iran qui, fort de son expérience unique de 40 ans de République islamique et de 8 ans de guerre, veut retrouver un rôle à la mesure de ses ambitions régionales. La levée des sanctions économiques qui lui ont été imposées au titre de ses activités d'enrichissement nucléaire pendant plus de 10 ans (de 2006 à 2017 avec un fort élargissement en 2010) est donc essentielle au retour sur la scène internationale de ce grand pays plusieurs fois millénaire et de plus de 80 millions d'habitants.

On la croyait acquise ou du moins en bonne voie avec l'accord conclu en 2015 par lequel l'Iran a accepté l'abandon de 100 milliards de dollars investis dans le nucléaire en contrepartie d'une levée partielle et progressive des sanctions.
Mais l'élection du Président Trump est venue remettre en cause ces perspectives. Les derniers rebondissements liés à la décision de l'exécutif américain de refuser la « certification » du régime de Téhéran a confirmé ses craintes, ravivées par la double question de l'imprévisibilité américaine et de l'ambigüité européenne.

Dans ce contexte, l'autonomie relative des régimes nationaux de sanctions et la portée extraterritoriale des sanctions US font peser une forte insécurité juridique sur les entreprises qui voient dans ce fabuleux marché une opportunité formidable.  

Telles sont les conclusions auxquelles sont parvenus les divers intervenants à la conférence organisée le 20 décembre dernier à la Sorbonne par l'association du master 2 de droit international économique de Paris 2 présidé par le Professeur Yves Nouvel.

L'imprévisibilité américaine sur le JCPOA

Rappelons tout d'abord que le Plan global d'action commun (PGAC ou JCPOA Deal), conclu à Vienne le 14 juillet 2015 par l'Iran avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni), plus l'Allemagne, prévoit une levée progressive et conditionnelle des sanctions en échange de la garantie que Téhéran ne se dotera pas de l'arme atomique.

On a constaté d'emblée une différence d'approche entre les US et l'Europe, cette dernière choisissant une levée complète quand les premiers optaient pour une levée prudente et sélective. Cette divergence est fréquente. On l'avait déjà observée à l'égard du Soudan.

Rappelons aussi que le président Trump avait annoncé dès avant son élection que l'« Iran deal » était, selon lui, « mal fait ».

Or, il revient au chef de l'exécutif US de « certifier » tous les 90 jours que l'Iran remplit bien ses obligations. L'annonce faite le 13 octobre 2017 de sa décision de ne pas « certifier » le JCPOA n'a donc pas été une surprise. Il appartenait cependant ensuite au Congrès de valider ou non dans les 60 jours le mécanisme connu sous le nom de « Snap back sanctions » qui permet la réimposition de sanctions en cas de violation de l’accord par l’Iran, prévu par article 37 JCPOA.
In fine, le 14 décembre, le congrès a précisément refusé de s'engager dans cette voie et a donc désavoué le président Trump. En l'absence d'un rapport probant de l'AIEA, c'est une sage mesure qui traduit avec éclat le bon fonctionnement de la démocratie US.

Le 12 janvier, le président américain a accepté la certification tout en annonçant que ce serait la dernière fois si le JCPOA n'est pas renégocié et renforcé avec les Européens. Menace lourde dont on ne peut pas garantir que le président américain ne la mettra pas à exécution, ni surtout qu'elle ne sera pas cette fois-ci suivie par le congrès. 
Dans ce cas, l'écart entre l'Europe et les USA se creuserait encore davantage. Sans parler des risques que cette divergence ferait courir à la région dans le contexte actuel d'une exacerbation du conflit entre Chiites soutenus par les Russes et Sunnites soutenus par les USA.

L'imprécision de l'agenda de l'ONU

Le JCPOA s'inscrit dans le contexte de la Résolution 2231 de décembre 2015 qui prévoit une levée progressive des sanctions contre l'Iran.

La première phase est largement placée sous le contrôle d'un acteur essentiel, l’agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), qui vérifie dans un rapport semestriel destiné au conseil de sécurité le respect par l’Iran de ses engagements. En outre, chaque état membre peut à tout moment saisir le Conseil de sécurité s'il détient des éléments indiquant que l’Iran ne respecte pas ses obligations.

Après 5 ans, il est prévu de lever d'autres sanctions notamment le commerce d’armes et l'interdiction de voyager faite à certaines personnes (militaires, responsables des programmes de défense, responsables industriels, responsables de banques…) jugées proches du nucléaire iranien.

L’objectif est de permettre à l'Iran de redevenir en 2025 un pays « comme les autres » au sein de la communauté internationale.

C'est une large entreprise de réhabilitation mais qui ressemble plus à ce stade à une déclaration d'intentions certes louables qu'à un programme précis.

L'ambigüité des sanctions européennes

Alors que, depuis la levée des sanctions européennes, les relations commerciales entre l’Iran et l’UE ont augmenté de 94% et qu'en novembre 2016, l’UE et l’Iran ont organisé des réunions bilatérales pour préparer l’adhésion de cette dernière à l’OMC, d'autres sanctions concernent la violation des droits humains (les Américains viennent également d'inscrire sur la liste SDN 14 ressortissant iraniens pour les mêmes raisons).

Rappelons que, dans le complexe édifice institutionnel européen, les sanctions économiques sont une compétence du Conseil et donc in fine des États membres, sous le contrôle de plus en plus sourcilleux de la Cour européenne qui dénonce les fréquents manquements aux droits fondamentaux. Le risque d'arbitraire en matière de sanctions économiques est peut-être encore plus grand qu'ailleurs dans la mesure où elles comportent nécessairement une dimension d'extraterritorialité.

En tout cas, signe d'un double discours ou mesure de prudence face au risque de volte-face américain, les atermoiements européens face à l'Iran sont la preuve qu'en matière de sanctions rien n'est jamais très clair ni acquis.
Pour les entreprises, la conjonction de ces trois éléments est un facteur essentiel d'insécurité juridique aggravé par la portée extra territoriale des sanctions US que rien ne permet à ce jour de contrer, malgré les projet en cours de réactivation des mesures européennes de blocage (blocking statutes).

Dès 1996, l’UE s'est doté d'une législation lui permettant d’interdire aux opérateurs européens de se conformer aux sanctions américaines et de fournir des compensations financières aux entreprises affectées par ces sanctions. Mais cette législation n'a jamais fonctionné ce qui a conduit la commission parlementaire présidée par Pierre Lelouche à proposer récemment de les réactiver.

Dans l'immédiat, le risque de pénalités est tel que les banques européennes cèdent souvent au phénomène de l'« over-compliance » en s'érigeant non pas seulement en gendarmes des sanctions économiques mais en quasi-autorité de régulation des sanctions, ce qui pose un évident problème d'état de droit.
 
Dans ces conditions, il appartient plus que jamais aux entreprises ouvertes à l'international de se doter d'une vraie politique de conformité visant à sécuriser toute leur chaine d'approvisionnement et de distribution en identifiant tant leurs fournisseurs que leurs clients (know your customers), comme on le fait déjà depuis longtemps en matière de contrôle à l’exportation des biens et technologies à double usage (BDU). Il est d'ailleurs intéressant de noter que le projet actuellement en discussion de refonte du règlement européen de base en la matière fait la part belle à ces process internes.

C'est une parfaite illustration de la montée en puissance des problématiques globales de conformité que ce soit en France avec la loi Sapin 2 ou en Europe avec la 4e directive anti blanchiment qui oblige depuis juin 2017 les entreprises constituées en Europe à désigner le bénéficiaire ultime réel ou effectif, autrement dit leurs clients ou les bénéficiaires de leurs clients...

Jean-Marie Salva, Avocat à la cour, DS Avocats
Source : Actualités du droit