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Commissionnaire en douane/RDE : recours, responsabilité et fraude du client

Transport - Douane
07/11/2023
Le caractère indispensable du mandat pour le recours d’un commissionnaire en douane contre son commettant est rappelé par un arrêt du 12 octobre 2023 de la Cour d’appel de Papeete qui revient aussi sur les devoirs – de vérification des documents et de conseil – de ce spécialiste de la douane dans le cas d’une fraude mise en place par son client qu’il n’a pas pu déceler.
Dans l’arrêt ici rapporté, rendu sous l’empire des textes applicables à la Polynésie française, un particulier, M. [I], commande en 2014 une maison de type clef en main livrée de Chine à une société gérée par Mme [G] ; celle-ci s’adresse pour le dédouanement à un commissionnaire en douane. Par un procès-verbal de 2018, la Douane constate une minoration de la valeur en douane dans les déclarations à l’importation et donc des droits et taxes éludés qu’elle réclame au commissionnaire et à Mme [G] à titre solidaire, cette dernière reconnaissant être à l’origine de la fraude (notamment par la remise volontaire de faux documents au commissionnaire pour aboutir à une dette douanière moindre). Le commissionnaire tente d’échapper à la dette douanière en se retournant contre le destinataire réel de la marchandise, M. [I], sans succès à défaut de mandat, et contre son mandant « direct », Mme [G], là avec succès en raison de la fraude avérée mise en place par cette dernière, le juge première instance et la cour d’appel ayant toutefois une interprétation différente des faits au regard des vérifications opérées par le commissionnaire.
 
Recours du commissionnaire en douane contre le client : toujours l’indispensable mandat
 
Pour le juge de première instance, selon le procès-verbal précité, seule Mme [G] a chargé le commissionnaire d'effectuer ces déclarations, en lui remettant tous les documents bancaires et financiers nécessaires, les déclarations en douane ayant été dressées par le commissionnaire en douane au nom de M. [I] et « la preuve de l'existence d'un mandat apparent, dont aurait disposé Mme [G] de M. [I], n'est nullement démontrée par les pièces communiquées aux débats » par le commissionnaire. M. [I] n’est intervenu à aucun moment dans l'opération de dédouanement litigieuse et le commissionnaire a établi les déclarations en douane au nom d'un destinataire déclaré qui ne lui a pas donné l'ordre de dédouaner, en s'abstenant de solliciter du destinataire reconnu, Mme [G], le pouvoir par elle détenu à cette fin de M. [I], ce qui constitue une « faute » du commissionnaire et ne lui permet pas d’agir contre le destinataire réel. La cour d’appel confirme la mise hors de cause de M. [I] : le commissionnaire « ne s'étant jamais rapproché » de lui, il n'est pas bien fondé à rechercher sa responsabilité.
 
Remarques
Sur un rappel très récent du juge quant à l’utilité du mandat, voir Commissionnaire en douane/RDE : indispensable mandat avec le client, Actualités du droit, 9 oct. 2023.
 
Vérification des documents par le commissionnaire en douane et devoir de conseil envers un profane Versus fraude du mandant
 
Le juge de première instance rappelle qu’en application de l’article 1992 du Code civil (relatif au mandat) le mandataire répond des fautes qu'il commet dans sa gestion, et que le commissionnaire en douane, « en sa qualité de mandataire salarié spécialisé de Mme [G], importateur profane en la matière, avait pour obligation contractuelle de veiller à ce que la déclaration effectuée soit conforme à la réglementation douanière en vigueur, et devait, le cas échéant, conseiller à son mandant, non professionnel en la matière, de faire modifier les documents incomplets ou inexacts, afin d'éviter que ne soient relevées par le service des douanes des infractions douanières relatives à l'opération de dédouanement considérée ». Rien à signaler sur cette classique affirmation de principe.
 
Toujours pour le juge de première instance, le commissionnaire devait aussi « effectuer toutes les vérifications utiles, en amont, pour s'assurer de la conformité des déclarations effectuées à la législation en vigueur et (...) alerter son mandant sur l'existence d'irrégularités manifestes par [lui] constatées », ce qu’il a reconnu ne pas avoir fait, et « en s'abstenant d'effectuer un pareil contrôle, et en faisant preuve d'une absence de vigilance caractérisée », il a commis une « faute dans l'exercice de son mandat, ayant manqué au devoir de vérification et d'établissement conforme des déclarations émises lui incombant » et doit être déclaré responsable de la minoration frauduleuse des droits et taxes commise dans le dédouanement.
 
Sur ce dernier point, la cour d’appel a en revanche une interprétation différente des faits et ne retient pas de faute du commissionnaire : les fausses déclarations ont été décelées grâce aux « investigations approfondies » de la Douane, en analysant les documents remis par le commissionnaire, les transitaires, M. [I] et Mme [G] et en les rapprochant des déclarations en douane. De plus, Mme [G] a reconnu avoir été la seule donneuse d'ordre au commissionnaire en douane. Enfin, l'enquête douanière ne démontre pas que le commissionnaire « a manqué à ses obligations légales, réglementaires ou contractuelles au sujet des valeurs déclarées justifiées par des fausses factures », et Mme [G], sa commettante, a engagé sa responsabilité envers le commissionnaire « en lui communiquant des informations dont l'enquête douanière n'a pas établi qu'il aurait pu les vérifier de manière à pouvoir déceler la fraude sur la valeur déclarée » (autrement dit, le commissionnaire n’a pas commis de faute en ne décelant pas la minoration de valeur à partir des documents qui lui avaient été remis) et elle est donc condamnée à le relever et le garantir à concurrence du montant des droits et taxes de douane.
 
Par ailleurs, Mme [G] doit aussi réparer à titre de dommages et intérêts le préjudice de son commissionnaire correspondant à la perte de commission du fait des déclarations minorées.
 
Bien sûr, si l’arrêt vise un commissionnaire en douane, la solution vaut pour un représentant en douane enregistré (RDE), sa nouvelle appellation depuis le 1er mai 2016, date d’entrée en application du CDU.
Source : Actualités du droit