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« Brèves douanières » au 2 novembre 2023 : les jurisprudences

Transport - Douane
03/11/2023
Les jurisprudences « en bref » diffusées depuis le 29 septembre 2023 non traitées par ailleurs « dans ces colonnes ».
Confiscation de marchandises non déclarées en retour d’exportation, sans condamnation de l’opérateur : disproportion de la sanction turque pour la CEDH
 
Un opérateur économique ayant vendu et exporté de Turquie vers les USA des bijoux en or a dû en ramener une partie en raison de défauts décelés par l’acheteur. N’ayant pas déclaré ses marchandises en retour d’exportation en Turquie, elles font l’objet d’une confiscation fondée sur un article du code pénal turque, même si, au terme de la procédure judiciaire, l’opérateur n’est pas condamné pour infraction douanière (contrebande en l’espèce) : en effet, les biens en retour sont bien ceux exportés initialement et n’auraient donc pas entrainé de droit au retour (aucun préjudice n’existant donc pour l’État turque) ; l’absence de déclaration en retour ne procure aucun avantage à l’opérateur ; l’intention frauduleuse fait défaut. Aussi, pour la Cour Européenne des Droits de l´Homme, la confiscation fait peser « une charge excessive » sur l’opérateur, compte tenu :
  • de l’origine légale des biens saisis et de la nature des faits reprochés (le requérant ayant fourni, dès son arrestation, des explications cohérentes sur ce point, à savoir qu’il s’agissait de marchandise en retour d’exportation, et présenté les factures relatives à la vente et à la restitution de la marchandise) ;
  • de l’absence de préjudice financier causé aux autorités (la confiscation poursuivant donc un but purement punitif et non de compensation d’un préjudice pour l’État) ;
  • et de la valeur des biens saisis : 184 000 USD environ, une « somme particulièrement importante » selon la Cour (CEDH, 12 sept. 2023, nº 78661/11).
Pour arriver à cette conclusion de non-proportionnalité de la confiscation au regard de l’absence/omission de déclaration des marchandises en retour (sans fraude), cette juridiction rappelle :
  • qu’elle a déjà estimé « que la confiscation de biens non déclarés en douane était disproportionnée et qu’elle avait imposé une charge excessive au requérant, en tenant compte, entre autres facteurs, de l’origine légale des biens saisis et de l’absence d’intention frauduleuse » et que, dans certaines autres affaires, « l’intention frauduleuse s’est vu accorder une moindre importance » ;
  • que « le caractère additionnel de la mesure de confiscation est également un facteur ayant une influence sur sa proportionnalité » ;
  • et « qu’une législation interne rigide où le défaut de déclaration entraîne automatiquement la confiscation de l’intégralité des biens non déclarés conduit souvent à des décisions judiciaires internes qui ne respectent pas le juste équilibre entre les intérêts en jeu » (sur ce point-ci, voir, CEDH, 20 oct. 2020, n° 61233/12, Karapetyan c/ Géorgie, § 37).
 
Sur ce sujet, voir n° 105-38 Sanctions douanières : absence d'harmonisation dans l'UE et proportionnalité dans Le Lamy Guide des procédures douanières.
 
Exonération de TVA : preuve de la livraison intra-UE (non)
 
Pour écarter l’exonération de TVA au titre du I de l’article 262 ter du CGI s’agissant d’une livraison dans un autre État membre de l'Union européenne, la cour administrative d’appel de Paris estime qu’un opérateur n'apporte pas d'éléments suffisamment probants pour établir la réalité des livraisons intracommunautaires alléguées s’il ne produit, en l’espèce pour les 3 années concernées, que « deux preuves de dépôt Colissimo International à destination de la Belgique, qui ne permettent pas d'établir la réalité d'un flux physique de marchandises hors de France à défaut de tout autre document » (CAA Paris, 5e ch., 20 oct. 2023, n° 21PA06458).
 
Sur ce sujet, voir n° 140-10 Ventes (LIC) à un assujetti identifié à la TVA dans un autre État membre (CGI, art. 262 ter I) dans Le Lamy Guide des procédures douanières.
 
Privilège de la Douane : loi PACTE, caducité et garantie unique du CDU
 
Application dans le temps. – Relatif à la publicité du privilège de la Douane, l’article 379 bis du Code des douanes a été modifié par la loi nº 2019-486 du 22 mai 2019 (dite loi PACTE ; sur ce point, voir Privilège de la Douane : la publicité modifiée avec la loi PACTE, Actualités du droit, 7 juin 2019) et, en application de son article 61 (§ 3), ses dispositions nouvelles s'appliquent « aux créances exigibles à compter d'une date fixée par décret, et au plus tard à compter du 1er janvier 2020 » : elles ne s’appliquent donc pas à une créance devenue « exigible lors de l'émission de l'avis de mise en recouvrement du 27 novembre 2019 », émission donc antérieure. Et le fait que l’opérateur ait réitéré sa contestation après l'entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019, c'est-à-dire à une date à laquelle les nouvelles dispositions de l’article 379 bis précité étaient devenues applicables, « n'entraîne aucune remise en question en ce qui concerne la date d'exigibilité de la créance qui était toujours antérieure au 1er janvier 2020 ».
Caducité de l'inscription de privilège (non). – Lorsque la Douane prend en compte les observations du débiteur pour diminuer le montant de l'AMR, « en cas de radiation partielle de l'inscription du privilège, l'inscription n'est pas pour autant caduque », en application de l'article 6 (§ 4) du décret nº 2007-568 du 17 avril 2007 dans sa version en vigueur.
Garantie unique du CDU et privilège. – Si l’article 89 du CDU exige une garantie unique pour le recouvrement d'une créance douanière, l'inscription du privilège du Trésor ne représente pas une garantie faisant double emploi avec la caution bancaire fournie par un opérateur : en faisant inscrire le privilège général dont elle dispose sur le patrimoine mobilier de l’opérateur, la Douane n'a pas obtenu le bénéfice d'une garantie venant « doubler » la garantie d'une caution bancaire au sens de l’article 89 précité, l'inscription du privilège général du Trésor dont bénéficie cette administration n'ayant pas l'effet de lui procurer une garantie supplémentaire vis-à-vis de son débiteur et n'ayant qu'un but d'information des tiers. Et la publication du privilège est obligatoire en l'espèce, eu égard au montant de la créance, indépendamment du fait que l’opérateur ait fourni ladite caution bancaire (CA Aix-en-Provence, 28 sept. 2023, nº 22/03865, Airbus Helicopters c/ Direction régionale des douanes et droits indirects).
 
Sur ce sujet, voir n° 450-45 Publicité du privilège de la Douane jusqu'en 2022 dans Le Lamy Guide des procédures douanières.
 
Demande de remboursement des droits de douane : point de départ et interruption de la prescription
 
BAE, point de départ de la prescription triennale (non). – Pour le juge, la Douane ne démontre pas avoir procédé à la notification des mainlevées conformément à la réglementation communautaire (en l’espèce les articles 221 et 236 de l’ex-CDC notamment) et aux exigences imposées par la CJUE (en particulier la transmission d’une information adéquate permettant à l’opérateur d’assurer en toute connaissance de cause sa défense), « notamment en ce que les systèmes de télé transmission SOFI et DELTA permettent de délivrer un BAE, valant notification des droits de douanes, répondant aux exigences concernant plus particulièrement la notification des droits du redevable ». Aussi, à défaut de prouver via un BAE cette notification/communication des droits à l’opérateur (cette communication constituant le point de départ du délai de 3 ans de l’article 236 précité pour en demander le remboursement), cette Administration ne peut pas avancer que les déclarations enregistrées par l’opérateur « l'ont été en général en base « BAE » (Bon A Enlever) et que dès l'enregistrement des informations, le BAE aurait été notifié directement par le système du dédouanement informatisé de sorte qu'il conviendrait de considérer que la notification des droits de douane (...) aurait lieu instantanément après que l'administré ait envoyé sa déclaration (...) », ce qui ferait courir le délai des trois ans précités en l’espèce à la date de la déclaration et du BAE. La Douane se fondait notamment sur l’article 221 précité qui prévoit que l’octroi de la mainlevée « vaut communication » des droits dans le cas où la mention de leur montant a été effectuée à titre indicatif dans la déclaration, la Douane pouvant alors prévoir que la communication « ne sera effectuée que pour autant que le montant des droits indiqués ne correspond pas à celui qu'elle a déterminé » (CA Colmar, 28 sept. 2023, nº 20/03119, Direction régionale des douanes et des droits indirects c/ Schaffner EMC).
 
Remarques
Pour ce juge notamment, on ne saurait « assimiler en soi la mainlevée des marchandises avec la communication des droits par les services douaniers » et cette communication « doit nécessairement faire l'objet d'une manifestation de décision de la part de l'administration, et pour être valable, être accompagnée de la notification des droits y attachés (droits et recours attachés) » ; le « caractère « automatique » et simultané entre le moment où le redevable remplit les notices prévues par les services de télé transmission et la délivrance du BAE ne peuvent dès lors être accueillies » ; la mention du BAE en case 54 de la déclaration en douane « démontre uniquement qu'une mention en ce sens a été apposée sur la déclaration douane à une certaine date mais ne démontre pas que la mainlevée a été réalisée suite à la notification d'un message à l'opérateur » ; enfin, le BAE, « dénué de notification d'une date et des droits, ne peut être appréhendé en soi comme une décision de notification des droits de douanes ».
 
Interruption de la prescription par une « demande conservatoire de remboursement  » antérieure aux demandes officielles de remboursement. – Toujours dans l’arrêt de la cour d’appel ci-dessus, l’opérateur, avant de faire ses demandes officielles de remboursement, avait adressé « une demande conservatoire de remboursement » via un courrier en recommandé avec accusé de réception à la DGDDI (sous-direction du commerce international, ex-bureau E4 « politique tarifaire »). Si le tribunal judiciaire a estimé que ce courrier ne pouvait être retenu comme une demande de remboursement au regard des exigences fixées par l'annexe 111 visée par l'article 878 de l’ex-CDC, RA (relatif à la forme de la demande), en revanche, pour la cour d’appel, qui applique au cas d’espèce la solution précédemment retenue par la Cour de cassation « dans un litige portant sur une demande de remboursement de même nature déposée » par le même opérateur auprès de la Direction régionale des douanes du Havre (Cass. com., 15 déc. 2021, n° 19-16.350, arrêt P ; voir Remboursement des droits de douane : RTC, CRAP et motivation dans l’ex-CDC, RA, Actualités du droit, 5 janv. 2022), il s’en déduit que ce courrier « doit être appréhendé comme une demande de nature à interrompre le cours de la prescription triennale, et ce même :
  • s'il n'a pas été adressé au bureau des douanes compétent (en ce sens que ce dernier devait adresser la demande au bureau compétent),
  • s'il n'a pas été accompagné de pièces permettant de chiffrer précisément le montant de la demande en restitution (en ce sens que l'administration aurait dû réclamer les pièces manquantes à la société), et ce d'autant plus que l'envoi de cette lettre s'inscrivait dans un contexte très particulier : en effet [Ndlr : l’opérateur] avait provoqué de nombreuses rencontres, tant au niveau local des bureaux de douane que de la direction nationale au sujet des tarifications de plusieurs matériels importés, dont les filtres anti parasitage électromagnétique ».
 
Remarques
Pour cette cour d’appel, la Cour de cassation a retenu dans l’arrêt précité que :
  • l'argument de l’opérateur selon lequel la loi nº 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations est applicable aux demandes de remboursement de droits de douane est valable ;
  • la « demande conservatoire de remboursement » à la DGDDI ne peut être écartée au motif que cette Direction n'avait pas compétence pour instruire les demandes de remboursement de droits de douane ;
  • la Douane aurait dû, à réception de cette demande conservatoire ci-dessus, établir un accusé de réception indiquant les pièces manquantes en application de l'article 2 du décret nº 2001-492 du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l'accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives ;
  • les seules informations obligatoires pour une demande de remboursement de droits de douane étant celles contenues dans l'annexe 111 en application des articles 878 et suivants de l’ex-CDC, RA (points 8 à 12 de l'arrêt de cassation), la demande conservatoire pouvait être complétée par des courriers complémentaires dans lesquels l’opérateur a communiqué notamment les annexes 111.
 
Sur ces sujets, voir n° 460-72 Lieu de dépôt de la demande de remboursement ou de remise des droits, voir 460-74 Forme de la demande de remboursement ou de remise des droits et voir 460-80 Délai pour déposer une demande de remboursement ou de remise des droits – Principe dans Le Lamy Guide des procédures douanières.
 
Preuve de l’exportation (CGI, ann. III, art. 74) : cas de rejet
 
Au visa notamment de l’article 74 de l’annexe III du CGI relatif aux preuves de l’exportation pour le bénéfice de l’exonération de TVA, la cour administrative d’appel de Paris écarte la production par un opérateur, d'une part, d’une facture datée du 1er février 2012, d’un formulaire colissimo daté du même jour, d’une facture proforma revêtue du cachet de la Poste et de 2 formulaires type CN23 de déclaration en douane, dont elle indique qu'ils se rapportent à la vente à une pharmacie située en Guadeloupe de 125 tisanes, d'autre part, de plusieurs preuves d'envoi Colissimo International à destination de la Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Nouvelle-Calédonie (CAA Paris, 5e ch., 20 oct. 2023, n° 21PA06458). Le juge suit en effet l’administration qui estime :
  • s’agissant de la facture, « seule facture commerciale produite, et qui ne saurait en tout état de cause pas constituer un élément de preuve pour l'ensemble des opérations litigieuses [Ndlr : sur 3 années] », qu’elle mentionne « un montant de 2 600 euros HT et TTC pour un prix unitaire de 20,80 euros, alors que le document censé attester de la preuve de dépôt du colissimo recommandé, sur laquelle, au demeurant, ne figure pas le cachet des services postaux, ainsi que la facture Proforma également jointe, mentionnent une valeur de 3 250 euros TTC, pour un prix unitaire de 26 euros, soit une différence de 650 euros qui n'est pas expliquée par la société » ; de plus, les 2 formulaires CN23 sont « vierges de toute annotation, le premier étant un document censé être conservé et archivé par le bureau de poste » ;
  • et s’agissant des preuves d'envoi Colissimo International, qu’elles « ne concernent qu'une partie des factures litigieuses, pour la seule année 2014, et ne sont pas assorties du cachet de la Poste, alors que les factures Proforma présentées sur lesquelles figure le cachet de la Poste de La Hay-les-Roses sont soit totalement vierges, soit illisibles, ce qui ne permet pas, au surplus en l'absence de production des factures commerciales correspondantes, de faire le lien avec les récépissés colissimo ».
 
Sur ce sujet, voir n° 615-67 Nature et portée de l'acceptation des preuves alternatives fiscales à partir du 8 mars 2010 dans Le Lamy Guide des procédures douanières.
 
Contentieux douanier et ordre de juridiction compétent
 
Les juridictions administratives ne sont pas compétentes s’agissant de la requête d’un opérateur tendant à l’annulation de la décision d’un directeur régional des douanes mettant fin (au vu de manquements relevés à la réglementation douanière) aux autorisations qui lui ont délivrées lui permettant, d'une part, le franchissement de la frontière suisse par un point de passage non gardé et, d'autre part, le dépôt d'une déclaration en douane globalisée quotidienne : les juridictions de l’ordre judiciaires sont seules compétentes en application des articles 357 bis du Code des douanes et R. 211-3-26 du Code de l’organisation judiciaire (TA Paris, 3 oct. 2023, nº 2220602).
 
Sur ce sujet, voir 1015-82 Compétence matérielle des tribunaux dans Le Lamy Guide des procédures douanières.
 
Recours contre des documents de portée générale de la Douane : à propos d’une note aux opérateurs
 
Jugé, à propos d’une note aux opérateurs émanant du Directeur régional des douanes imposant une procédure écrite pour les demandes de remboursement de droits et taxes en Polynésie française : d’une part à titre de principe, que « les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre » et qu’« ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices » ; d’autre part en l’espèce, que « la note en litige, qui est destinée aux opérateurs et non aux agents de la direction régionale des douanes, modifie les modalités de traitement des demandes de remboursement des droits et taxes, instaure des formulaires de demandes et des certificats de remboursement et précise la liste des pièces à joindre à ces demandes » et que « dans ces conditions, (...) l'acte en litige présente un caractère réglementaire susceptible de faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir » (TA Papeete, 1re ch., 10 oct. 2023, nº 2300082, points 4 et 5).
 
Source : Actualités du droit