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La semaine du droit international

Pénal - International
Affaires - International
18/01/2021
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin civil et Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit international, la semaine du 11 janvier 2021.
Sentence arbitrale – reconnaissance – contradictoire
« Selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 1er juin 2017, pourvoi n° 16-13.729), la société égyptienne National Gas Company (NATGAS) a signé, le 6 janvier 1999, avec avenants des 24 septembre 2001 et 4 avril 2004, un contrat d’adduction de gaz naturel pour l’alimentation de deux régions à l’Est de l’Egypte avec la société Egyptian General Petroleum Corporation (EGPC), établissement public de droit égyptien gérant les activités relatives au gaz et au pétrole en Egypte. Au cours de l’exécution du contrat, un nouvel établissement a été créé, la société Egyptian Natural Gas Company (EGAS), qui s’est substitué à la société EGPC pour prendre en charge certaines de ses activités. La parité de la livre égyptienne ayant été modifiée par décret du 28 janvier 2003 des autorités égyptiennes, la société NATGAS a tenté de négocier un accord en raison de l’accroissement de ses charges financières. Face au refus de son cocontractant, elle a mis en oeuvre la clause d’arbitrage insérée au contrat. Par sentence du 12 septembre 2009 rendue au Caire, le tribunal arbitral a condamné la société EGPC à payer à la société NATGAS diverses sommes.
 
Après avoir exactement énoncé que les dispositions des articles 1514 et suivants du Code de procédure civile sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales sont applicables à la fois aux sentences arbitrales internationales et aux sentences rendues à l’étranger, quel que soit, pour ces dernières, leur caractère interne ou international, l’arrêt retient exactement que la circonstance que le droit égyptien soumette à une autorisation ministérielle la conclusion par un établissement public d’un contrat prévoyant le recours à l’arbitrage est indifférente à l’appréciation de l’efficacité de la clause compromissoire par le juge français, peu important que la sentence rendue en Egypte ait un caractère interne ou international, de sorte que l’argumentation développée par la société EGPC sur la nullité de la clause d’arbitrage en ce qu’elle se fonde sur le caractère interne de l’arbitrage est dépourvue de pertinence.
 
L’arrêt relève que la société NATGAS a, le premier jour de l’audience devant le tribunal arbitral, remis des billets à ordre au vu desquels son expert avait présenté un rapport, expliquant chaque pièce, son montant et l’ensemble de ses conditions et modifications. Il observe que les parties, qui ont déclaré n’avoir aucune objection ou réserve à formuler sur la procédure suivie, ont, en cours d’audience, interrogé leurs experts et débattu des rapports de ceux-ci. Il ajoute qu’il a été fait droit à la seule demande de la société EGPC formulée à l’audience de disposer d’un délai supplémentaire pour examiner les nouvelles pièces remises et qu’elle a été autorisée à déposer un rapport complémentaire sur ce point, de sorte que son conseil et son expert ont pu examiner, analyser et répondre en temps utile à l’ensemble des documents comptables qui lui ont été communiqués.
De ces constatations souveraines, la cour d’appel a justement déduit que les parties avaient été en mesure de discuter contradictoirement l’ensemble des moyens, arguments et pièces produites ».
Cass. 1ere civ., 13 janv. 2021, n° 19-22.932, P+I *
 
 
Communauté internationale – immunité de juridiction
« Le 14 novembre 2002, MM. B... Y..., C... Z... et leurs parents ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Lyon des chefs d’acte attentatoire à la liberté individuelle consistant en une détention de plus de sept jours, abstention volontaire de mettre fin à une privation illégale de liberté et séquestration de personne.
Les deux intéressés, de nationalité française, ont été arrêtés dans le cadre des opérations déclenchées par les Etats-Unis à l’encontre du régime taliban et du réseau Al Qaida, et détenus au camp de Guantanamo Bay, base militaire américaine située à Cuba.
Par ordonnance du 14 février 2003, le juge d’instruction a refusé d’informer. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon a confirmé cette ordonnance par arrêt du 20 mai 2003.
Par arrêt du 4 janvier 2005 (pourvoi n° 03-84.652), la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.
Par arrêt en date du 1er juin 2005, cette juridiction a infirmé l’ordonnance de refus d’informer.
Les magistrats instructeurs saisis ont procédé à de nombreuses investigations sur les conditions dans lesquelles les parties civiles ont été détenues.
Le 6 octobre 2009, le procureur de la République a délivré un réquisitoire supplétif des chefs de tortures et actes de barbarie concomitants aux crimes d’arrestation, enlèvement, détention, séquestration sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi commis en réunion, avec préméditation et avec usage ou menace d’une arme.
Aucune des diverses commissions rogatoires internationales adressées aux Etats-Unis n’a reçu exécution, les autorités américaines refusant de lever le secret-défense.
De même, le ministre de la Défense français a fait connaître aux magistrats instructeurs que la Commission consultative du secret de la défense nationale avait rendu un avis défavorable qu’il entendait suivre.
Le 18 septembre 2017, les juges d’instruction on rendu une ordonnance de non-lieu dont les parties civiles ont interjeté appel.
 
Pour dire irrecevable le mémoire déposé par Maître R... le 6 novembre 2019 au greffe de la chambre de l’instruction, l’arrêt attaqué énonce qu’un mémoire non signé ne saisit pas la cour des arguments qu’il pourrait contenir ni des pièces jointes.
En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a justifié sa décision et n’a pas violé les principes conventionnels invoqués.
En effet, les mémoires présentés devant la chambre de l’instruction en vertu de l’article 198 du Code de procédure pénale, lorsqu’ils ne comportent pas la signature de la partie intéressée ou de son avocat, ne saisissent pas les juges des moyens qui peuvent y être formulés.
Le demandeur ne peut se faire grief de cette exigence destinée à garantir l’authenticité de l’acte. Peu importe, à cet égard, l’identité de celui qui a déposé ledit mémoire.
Le moyen doit, en conséquence, être écarté.
 
Pour confirmer l’ordonnance de non-lieu, l’arrêt attaqué relève que les personnes désignées par les avocats des parties civiles au cours de l’instruction sont effectivement susceptibles d’avoir participé, comme auteur ou complice, aux faits objet de l’information mais qu’elles bénéficient d’une immunité de juridiction qui empêche que l’information soit utilement poursuivie, une telle immunité ratione materiae concernant les actes qui, par leur nature ou leur finalité, relèvent de l’exercice de la souveraineté de l’Etat concerné.
Les juges retiennent que l’arrestation des personnes transférées à Guantanamo, au nombre desquelles figuraient M Y... et M. Z..., puis le traitement qui leur a été réservé, ont été décidés et organisés par les autorités politiques des Etats-Unis d’Amérique, et au plus haut niveau de l’Etat par le Président Georges W. Bush et mise en oeuvre par l’armée des Etats-Unis dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme déclenchées à la suite des attentats du 11 septembre 2001, que ces actes relèvent de l’exercice de la souveraineté de l’Etat concerné et ne constituent pas des actes de simple gestion.
La chambre de l’instruction conclut que les personnes susceptibles d’avoir participé comme auteur ou complices aux faits dénoncés par M Y... et M. Z..., et notamment les responsables américains visés par les observations des parties civiles au cours de l’information, à savoir, M. G.W Bush, président des Etats-Unis de 2001 à 2009, M. Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la défense des Etats Unis de janvier 2001 au 8 novembre 2006, M. D... W..., conseiller juridique à la Maison Blanche de 2001 à 2005, M. E... V..., conseiller juridique de l’attorney général, M. F... U..., assistant à l’attorney général, M. G... T..., directeur des affaires juridiques au secrétariat d’Etat à la défense sous Donald Rumsfeld, et le général H... S..., commandant du camp de Guantanamo au moment des faits, bénéficient de l’immunité de juridiction qui s’oppose à leur poursuite devant les juridictions pénales françaises, à leur mise en examen ou à la délivrance d’un mandat d’arrêt à leur encontre.
Les juges ajoutent enfin qu’il n’est pas utile à la manifestation de la vérité de procéder à l’audition des responsables américains précédemment mentionnés dès lors qu’ils ne peuvent être poursuivis ni mis en examen ni faire l’objet de mandats d’arrêt et que, pour les mêmes raisons, de nouvelles auditions de témoins ne sont pas nécessaires, de même la réitération des demandes effectuées par la voie de l’entraide pénale internationale qui se sont déjà heurtées à l’absence de réponse ou au refus d’exécution des autorités judiciaires des Etats-Unis, ou tout autre acte d’information.
En l’état de ces énonciations, la chambre de l’instruction a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
Les faits incriminés, reprochés à un ancien président des Etats-Unis et à différents membres du gouvernement, fonctionnaires ou membres de l’armée américaine, ne peuvent être assimilés à de simples actes de gestion mais constituent des actes relevant de l’exercice de la souveraineté de l’Etat.
La coutume internationale s’oppose à ce que les agents d’un Etat, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, puissent faire l’objet de poursuites, pour des actes entrant dans cette catégorie, devant les juridictions pénales d’un État étranger.
Il appartient à la communauté internationale de fixer les éventuelles limites de ce principe, lorsqu’il peut être confronté à d’autres valeurs reconnues par cette communauté, et notamment celle de la prohibition de la torture.
En l’état du droit international, les crimes dénoncés, quelle qu’en soit la gravité, ne relèvent pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction.
Par ailleurs, le droit d’accès à un tribunal, tel que garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’est pas absolu et ne s’oppose pas à une limitation à ce droit, découlant de l’immunité des États étrangers et de leurs représentants, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en matière d’immunité des États. En l’espèce, l’octroi de l’immunité, conformément au droit international, ne constitue pas une restriction disproportionnée au droit d’un particulier d’avoir accès à un tribunal.
Enfin, il est vainement fait grief à l’arrêt d’avoir refusé d’ordonner les nouvelles mesures d’instruction sollicitées, dès lors que l’opportunité d’ordonner un supplément d’information est une question de pur fait qui échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Ainsi, le moyen doit être écarté ».
Cass. crim., 13 janv. 2021, n° 20-80.511, P+B+I *
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 18 février 2021.
 
Source : Actualités du droit