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Accords de commerce : opportunités, « derisking », prévention et cas concrets

Transport - Douane
Affaires - International
26/03/2024
Si les préférences tarifaires demeurent un avantage économique dans les accords de commerce, ceux-ci deviennent aussi, dans la période géopolitique actuelle troublée, un remède au risque d’approvisionnement. À ce constat fait le 25 mars 2024 lors de la 5e édition de la « journée d’accès au marché » organisée par la Direction générale du Trésor à Bercy, s’ajoute un conseil notamment aux opérateurs qui, s’agissant des barrières au commerce, ont tout intérêt à organiser une veille réglementaire préventive en amont. Enfin, un focus est fait sur le futur APE UE-Kenya et sur le bilan des ALE UE-Japon et UE-Corée du Sud pour illustrer l’utilité des accords.
 Accord de commerce : enjeu de compétitivité et réduction des risques d’approvisionnement
 
Si le déficit commercial de la France s’améliore en 2023 s’agissant des biens (-110 milliards d’euros), c’est notamment en raison de la baisse du prix des énergies, rappelle le ministre délégué chargé notamment du Commerce extérieur et de l’Attractivité, Franck Riester. La nécessité d’encore améliorer la balance commerciale des biens demeure évidente et passe selon lui par plusieurs éléments. Parce qu’il faut « être plus compétitif pour exporter et exporter pour être plus compétitif », l’export doit être mis au cœur de l’entreprise,... à condition bien sûr d’avoir accès à des marchés ouverts. C’est là le travail de la Commission européenne qui négocie les accords de commerce (abaissant ainsi les barrières tarifaires) « sans naïveté », c’est-à-dire sans négliger leur volet défensif au moyen d’outils de défense qui ne doivent toutefois pas tourner à la guerre commerciale. Pour le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, agriculture et commerce ont des intérêts convergents, la première ayant bien sûr besoin de l’export. Il ajoute également qu’une stratégie de derisking – de réduction des risques – doit aussi être mise en place pour ne pas dépendre en termes d’approvisionnement d’un seul acteur quand la situation géopolitique, comme c’est alors actuellement le cas, crée quelques périls. Sous cet angle, les accords commerciaux constituent donc aussi des opportunités.
 
Les avantages économiques des accords de commerce et donc les gains de compétitivité sont rappelés par Denis Redonnet, le chief trade enforcement officer à la DG commerce de la Commission européenne. Il cite sur ce point le 3e rapport publié en novembre 2023 par la Commission sur la mise en œuvre et l’application de la politique commerciale de l’UE qui confirme le soutien à la croissance qu’apportent ces accords. L’intérêt de s’en saisir est donc réel pour les opérateurs. L’accès préférentiel au pays tiers fait une différence permettant de gagner grâce aux accords 2 ou 3 points de croissance (alors que sans eux la part de marché baisse). Et de citer les augmentations à l’exportation de l’UE grâce à l’accord avec la Corée du Sud (6 à 7 % par an), au CETA (66 %) ou à l’accord avec le Vietnam (+ 20 % par an). De plus, ajoute Denis Redonnet, les accords sont un « filet de sécurité » lorsque les règles bilatérales s’effritent et, pour lui aussi, un moyen de derisking.
 
Sur le plan national, l’enquête lancée en février 2023 par la DG Trésor sur l’utilisation par les opérateurs des préférences des accords commerciaux dont les résultats ont été présentés en décembre dernier est rappelée par Muriel Lacoue-Labarthe, directrice générale adjointe de cette DG. Elle souligne la potentielle économie de 500 millions d’euros que pourraient réaliser les opérateurs en recourant aux préférences qu’ils n’utilisent pas (voir notamment Utilisation des accords commerciaux de l’UE : présentation du rapport de la DG Trésor aux opérateurs, Actualités du droit, 6 déc. 2023).
 
Un rappel en forme de bon mot
À propos du demi-milliard d’euros d’économie dont pourraient bénéficier les opérateurs avec les accords de commerce, Thomas Brisset, le chef du bureau règles internationales du commerce et de l’investissement à la DG Trésor, mentionne à juste titre que « les préférences tarifaires, c’est comme les antibiotiques, c’est pas automatique : il faut les demander ! ».
Côté douane, du classique !
Guillaume Vanderheyden le sous-directeur au commerce international à la DGDDI, reconnait que si les règles d’origine sont certes « compliquées », il ne faut pas hésiter à se faire aider : par les institutions de la Team export, par les représentants en douane enregistrés (RDE), par les pôles d’action économique (PAE) de la Douane, et par les outils de la Commission tel Access2markets et son module ROSA qui permet une autoévaluation des règles d’origine, ou encore par les rescrits douaniers (notamment le RCO en la matière). L’accompagnement prodigué aux opérateurs par cette administration est encore rappelé avec la Mission action économique et entreprises (MA2E) en lien avec les fédérations professionnelles (qui peuvent lui faire remonter des « difficultés douanières »), avec les cellules conseils aux entreprises (ces CCE pouvant – parfois dès la création de l’entreprise – aider les opérateurs ou les réorienter vers les interlocuteurs non douaniers utiles), avec le Service grands comptes (SGC) ou encore avec les attachés douaniers dans les ambassades (voir aussi par exemple Accords commerciaux de l’UE : faciliter leur utilisation par les opérateurs ! Actualités du droit, 29 mars 2023).
 
Barrières au commerce : mieux vaut prévenir...
 
Issues de politiques « aux pulsions protectionnistes » selon l’expression de Denis Redonnet, des barrières au commerce parfois non douanières/non tarifaires (tant à la frontière que derrière celle-ci) peuvent apparaître dans les relations de l’UE avec ses partenaires. Elles doivent être combattues grâce à un effort collectif de la Commission européenne et des États membres. Ainsi, en 2022, 30 barrières ont été éliminées dans 20 pays et en 2023, 37 dans 27 pays, ce qui a permis de faire bénéficier les opérateurs de 7 milliards d’euros de préférences au titre des accords. Autrement dit, il faut « mettre le paquet sur le préventif » selon le chief trade enforcement officer et cela passe par une augmentation de la capacité de veille réglementaire (elle a par exemple permis l’évitement d’une réglementation thaïlandaise sur l’étiquetage de vins et spiritueux). Bien sûr, il demeure toujours des mécanismes de règlement des différends dans les accords qui assurent de solutionner les problèmes « qui sont en croissance chez beaucoup de partenaires ».
 
Muriel Lacoue-Labarthe confirme l’utilité de la « veille préventive » : il est essentiel de repérer en amont l’arrivée de ces barrières et les entreprises ont là un rôle d’alerte à jouer via Access2markets et son « point d’entrée unique » (single point of entry, SEP). Elle ajoute que les services économiques dans les ambassades réalisent une enquête annuelle d’accès au marché et contribuent à la résolution du problème des barrières avec le pays (en intégrant aussi les délégations de l’UE) et enfin que les accords constituent en eux-mêmes un cadre, un échelon de discussion, en vue de la levée de ces obstacles.
 
Filières sensibles
Un représentant de la filière bovine française souligne le cas des filières sensibles aux effets des accords (comme la sienne ou encore celle du sucre) regrettant notamment que les clauses de sauvegarde soient « peu opérantes » et « longues à mettre en œuvre ». Il pointe aussi un déficit du contrôle à l’importation (en termes de moyen ou de volonté) en citant le cas d’huiles de cuisine importées mais qui seraient en réalité de l’huile de palme. Interrogé directement, Denis Redonnet assure s’agissant des filières sensibles qu’elles sont identifiées et prises en compte dans les accords (via les clauses de sauvegarde qui sont « opérantes » ou les contingents par exemple). Il ajoute, sur le second point qui concerne les normes de production, qu’il est « très compliqué » de contrôler les conditions de production et qu’il faudrait un renforcement des autorités de contrôle sur ce sujet au niveau national (et pas européen).
 
Utilisation des préférences commerciales : une perspective africaine et deux cas concrets
 
Un des enseignements ou l’une des confirmations de l’enquête précitée sur l’utilisation des préférences tarifaires est que l’administration doit certes faire la publicité des accords à venir, mais qu’elle doit aussi « revenir sur les accords déjà existants ». C’est manifestement dans cette optique que sont présentés d’une part le futur accord de partenariat (APE) entre l’Union européenne et le Kenya, et d’autre part les bilans des accords UE-Japon et UE-Corée (chiffres et détails à l’appui).
 
Focus sur l’accord UE-Kenya. – En raison notamment de la croissance tant de sa démographie que de son pouvoir d’achat, le continent africain d’une manière général est porteur d’opportunité pour l’UE qui est son premier partenaire commercial. L’accord de partenariat économique entre l’UE et le Kenya est donc aussi une opportunité, selon Dora Correia, sa négociatrice en chef du côté de la DG commerce de la Commission européenne : comme Denis Redonnet (voir ci-dessus), elle souligne le risque en période de crise d’une « dépendance excessive » à un ou deux partenaires et prône comme remède la diversification des approvisionnements économiques. C’est le cas en Afrique où l’Union s’engage économiquement et dispose déjà d’un réseau de pays partenaires avec 6 accords (regroupant 15 parties) et des accords d’association en Afrique du Nord. Le Kenya est la 9e économie du continent et constitue « la porte d’entrée vers la région de l’Afrique de l’Est », affirme Dora Correia, qui indique que si les exportations françaises vers ce pays sont modestes, la France est le 4e exportateur notamment avec des produits de la chimie, de la pharmacie ou de l’agroalimentaire. L’ambassadrice du Kenya en France, Betty Cherwon, confirme l’utilité de l’accord notamment au regard de la ZLECAf, la Zone de libre-échange continentale africaine. L’APE UE-Kenya fait l’objet d’une procédure de ratification côté kenyan et devrait entrer en vigueur en juin 2024 : il prévoit une « suppression asymétrique des droits de douane » et le Kenya s’est engagé sur la libéralisation de 82 % des importations d’ici la fin de la période transitoire. Pour illustrer les bénéfices tarifaires de cet APE UE-Kenya, Laurent Scheer, le vice-président Affaires publiques mondiales et Alcool de Pernod Ricard, rappelle que le continent connait « des environnements économiques volatiles » et que les droits de douane et/ou la fiscalité peuvent être très élevés, ce qui implique parfois une production locale ; en revanche, grâce à cet APE les droits de douane à l’importation au Kenya de ses alcools seraient réduits à 35 à 25%.
 
Bilan de l’accord UE-Japon. – Il est « très satisfaisant » pour les deux parties, selon Raphaël Keller, le chef du service économique régional de Japon-Corée. L’accord a permis notamment l’importation de voitures japonaises dans l’UE et l’importation de fromages de l’Union au pays du Soleil levant, ce qui lui a valu d’ailleurs le surnom d’« accord voiture contre fromage ». De fait, il a facilité l’importation de produits agroalimentaires de l’UE au Japon, mais aussi assuré un cadre de discussion pour résoudre certaines barrières non douanières (par exemple s’agissant de médicaments en 2022) ou pour avancer sur la résolution d’autres difficultés.
 
Bilan de l’accord UE-Corée du Sud. – Pour Adeline-Lise Khov, la cheffe du service économique régional de Séoul, c’est un « accord mature » (en ce que les suppressions de droits de douane prévues par son calendrier sont atteintes) et c’est également une « réussite » : les deux parties ont en effet bénéficié d’un doublement des échanges (et c’est aussi le cas pour la France). Toutefois, ajoute-t-elle, c’est un accord « perfectible » (des améliorations sont d’ailleurs envisagées ou en cours d’élaboration) et « pas suffisamment utilisé » : des marges de progression existent bel et bien. Enfin, à propos de blocages de marchandise qui ont pu avoir lieu, elle rassure en précisant que les raisons en étaient sanitaires et pas douanières.
 
 
Source : Actualités du droit